#BrandTalk : les assistants vocaux, gadgets ou avenir de l’expérience utilisateur ?
Home Blends & Trends 22 mai 2018Le 18 avril dernier, fifty-five organisait la seconde édition du BrandTalk, son club de discussion et de rencontres des esprits tournés vers la culture digitale. Durant une discussion libre et horizontale, des participants aux profils variés ont pu échanger sur les assistants vocaux et l’avenir de cette technologie.
fifty-five avait réuni pour l’occasion des annonceurs (SNCF, Radio France, France Télévisions, Nestlé, Deezer), des acteurs du marché de l’assistance vocale (Orange, Google, Snips), un représentant de l’autorité française de la protection des données ( CNIL) et des journalistes (l’ADN, Viuz). Alors que le marché en question n’en est encore qu’à ses balbutiements en Europe et en Chine, la question était : les assistants vocaux représentent-ils un réel bouleversement de l’expérience utilisateur, ou cette tendance n’est-elle qu’éphémère ?
Retrouvez ici le contenu de ces échanges enrichissants, ainsi qu’un retour en images sur la prestation en live du cartoonist Deligne !
1. Une révolution des usages : un retour naturel à la voix
Parler à son téléphone pour trouver son chemin, utiliser sa voiture pour commander un repas ou discuter avec son assistant vocal personnel pour lancer un film sur sa télévision, c’est aujourd’hui possible ! Mais pour autant, ces nouvelles fonctionnalités sont-elles réellement utilisées ? Siri (Apple), Cortana (Microsoft), Google Assistant, Alexa (Amazon) sont des noms qui sont aujourd’hui familiers du grand public. Et ces différents assistants accompagnaient déjà 504 millions de personnes en 2016. Selon le cabinet Tractica, le nombre d’utilisateurs dans le monde devrait s’élever à 1,6 milliards en 2020 ! Si le marché est principalement porté par les Etats-Unis, la Chine développe aussi ses propres assistants vocaux : Baidu et Tencent se sont déjà lancés avec des usages tournés vers les services, ainsi que TaoBao (Alibaba Group) qui se concentre sur l’e-commerce. Un nouvel oligopole en puissance ?
Pour Philippa Rimmer, Responsable Produits Applicatifs chez Radio France, et Samuel Baroukh, Directeur de l’e-Business et CDO chez Nestlé, le retour à l’usage de la voix ne fait aucun doute. Mode d’interaction le plus naturel pour l’homme, il permet également à l’utilisateur d’être libre de ses mouvements. Les deux annonceurs ont d’ailleurs décidé de prendre de l’avance, et sont déjà présents sur le marché avec leurs applications respectives : Fip sur Alexa et « Emile et une recette » sur Google Assistant. Comme l’explique Samuel Baroukh, « Il faut se mettre en marche pour arriver à maturité au moment où l’usage sera acquis. »
La voix représente certes un défi technique mais surtout organisationnel ! Les marques doivent dorénavant joindre leurs forces pour devenir encore plus consumer-centric. « Nous aurions pu faire trois applications, une pour Herta, Maggi et Nestlé Dessert… Mais nous avons choisi de les rassembler autour d’une application pour faciliter l’expérience utilisateur ». Une façon de rattraper l’avancée des plateformes éditoriales culinaires sur Internet en matière d’innovation.
Quelques chiffres…
Aux Etats-Unis, 20 % de la population possède déjà une enceinte connectée.
En Chine, 44 % de la population utilise l’assistance vocale, via smartphone ou d’autres devices.
En France, 25 % de la population utilise régulièrement l’assistance vocale, via leur smartphone ou d’autres devices.
Sources : Voicebot Report, 2018 | Etude Bonial, 2017 | Accenture Digital Consumer Survey, 2017
2. Un fort enjeu de visibilité : référencement et pertinence, les maîtres mots de l’acquisition d’utilisateurs
Dans son rapport de septembre 2017, Juniper Research pronostique une explosion des dépenses publicitaires mondiales via les assistants vocaux qui devraient atteindre plus de 2 milliards de dollars en 2018, et 7 milliards en 2020. Cependant, lors d’une requête par la voix, une seule réponse est possible. Comment les annonceurs se battront-ils pour atteindre la position « zéro » ? Référencement naturel et payant, « les places seront très chères » selon Pierre Harand, Directeur Général France de fifty-five. De plus, « cela contraint l’utilisateur en termes de profondeur de contenu recherché ».
Pour Philippa Rimmer, l’enjeu est avant tout aujourd’hui de se faire remarquer dans l’écosystème : comment mettre en valeur sa marque dans un monde sans logo ? La proposition de valeur de la marque passe par le travail du « design sonore », ce qui n’est pas nouveau pour un acteur comme Radio France… mais introduit des réflexions inédites pour d’autres marques !
Quoiqu’il en soit, les GAFA mènent une fois de plus la danse et ont pris beaucoup d’avance sur ce marché, ce qui pourrait engendrer une forte dépendance pour les marques. « Comme ce fut le cas avec les pages Facebook ! » signalent les participants. En intégrant la plateforme, elles perdent en effet petit à petit le contrôle de leur marque et de son environnement de diffusion, mais également des données de leurs utilisateurs, dont elle ne sont plus propriétaires.
3. Et la protection de la vie privée dans tout ça ?
Avec l’arrivée du RGPD en Europe, difficile de faire l’impasse sur la protection des données personnelles des utilisateurs au cours du débat ! Pour Olivier Desbiey, Innovation & Prospective Manager à la CNIL, « La maîtrise de l’utilisateur sur ses données reste limitée dans ce nouvel écosystème ». Il ajoute : « Si je dis « OK Google, où vont mes données ? », je n’obtiens pas de réponse suffisante pour l’instant ».
Un défi de transparence qui serait relevé par Orange et son enceinte connectée Djingo. Yvan Delègue, Multimedia Applications Director, déclare : « Nous sommes convaincus que l’on peut créer un écosystème vertueux pour tous les acteurs de la voix. » 50 applications d’Orange ont déjà intégré un « badge de confiance », ce qui permet à l’utilisateur de connaître quelles sont les données collectées par l’application, pourquoi, avec également la possibilité de désactiver la collecte. Le Privacy by Design, un concept aussi cher à Yann Lechelle, COO de Snips. Ce laboratoire de recherche en intelligence artificielle développe des assistants vocaux avec un traitement des données en local, plutôt que traitées dans le cloud. L’idée : créer des objets connectées smart, mais pas intrusifs !
4. Les limites des assistants vocaux (pour l’instant !)
Vous l’aurez compris, il reste encore de nombreuses questions sans réponses autour des assistants vocaux. Quentin Delaoutre, consultant, développeur de bots et d’assistants vocaux et fondateur de Dialog Studio, pose par exemple ces questions : « Pourra-t-on un jour avoir une interaction réellement naturelle avec un assistant ? Ou devra-t-on s’adapter à lui, comme nous nous sommes habitués à faire des recherches sur Google ? ». « On croit que l’on peut tout dire, mais c’est de l’anthropomorphisme : les skills disponibles ne sont pas infinis ! », explique Yann Lechelle.
Pour Pippa Rimmer, c’est un « exercice d’épure » auquel les marques doivent se livrer avec la voix. Impossible en effet de transposer simplement un site web, une application classique, et même un chatbot en application vocale ! Il faut repenser toutes les interactions. Dans un monde dominé par les écrans, avec en moyenne de presque 6 heures par jour passées devant un écran en France, le passage du visuel au vocal peut s’avérer complexe…
De plus, comme l’a souligné Olivier Desbiey, les assistants vocaux risquent de plonger les utilisateurs dans des bulles de filtre, résultant en un véritable isolement et appauvrissement intellectuel : seule la première réponse nous est transmise, en fonction de nos recherches précédentes. La conséquence logique de cette course à l’ultra-pertinence, dans un espace restreint.
En résumé, un usage en forte croissance, mais avec aujourd’hui quelques freins technologiques et organisationnels. Comme l’a dit Roy Amara, chercheur et ancien Président de l’organisation Institute for the Future, « Nous avons tendance à surestimer l’incidence d’une nouvelle technologie à court terme et à la sous-estimer à long terme ». Enthousiastes ou sceptiques, les paris sur le futur des assistants vocaux sont lancés. Rendez-vous dans 5 ans pour connaître le fin mot de l’histoire ?
Avec la participation de Léa Kaniewski.